Syndrome de la page blanche : tout savoir

Je ne comprends pas cette peur de la page blanche, inventée sans doute pour masquer le fait qu’écrire est difficile - François Weyergans

Lorsque j’ai dit à mes proches que je me lançais dans l’écriture d’un roman, la question qui est revenue le plus souvent fut la suivante : « Tu n’as pas peur de la page blanche ? ».

Eh bien non. Non. Parce que je savais où j’allais. J’avais préparé un plan et j’avais bien compris que ce qui importait le plus était d’écrire, écrire et écrire encore, surtout si « ça » ne venait pas ; faire bouger le stylo, toujours, même pour écrire des inepties. Et ça a fonctionné. J’ai publié ce premier roman à l’été 2023 et, la tête pleine d’idées, je me suis dit qu’à la rentrée de septembre, j’entamerais l’écriture du second. Une nouvelle histoire qui s’apparenterait à une suite de la première. Là encore, je savais où je voulais arriver, je savais ce que je voulais développer. « Y avait plus qu’à » comme on dit. Alors j’ai commencé. Et là…

Et là, plus rien après deux petits mois. Rien, nada, la panne. J’étais incapable de me mettre dessus malgré l’envie et les idées à foison. Plus qu’une panne, une forme de paralysie m’agrippait à chaque fois que je me mettais à mon bureau. Et le fait que mes proches me demandassent sans cesse « Alors, ça avance ? Tu en es où ? », participait activement à cette vilaine bouillasse léthargique.

Il m’a fallu un peu de temps pour l’admettre, mais j’étais bel et bien frappée par le syndrome de la page blanche. Un syndrome qui venait s’ajouter à une liste déjà bien longue de mes syndromes personnels, une ressource aussi infinie que l’énergie solaire et tout à même de faire le bonheur du banquier de mon psy : le syndrome de l’imposteur, de la bonne élève, le syndrome de Raynaud, de Stockholm, celui de Peter Pan…   

J’ai longtemps pensé que ce blocage n’était que le résultat d’une forme de paresse, d’un certain laisser-aller, un lâcher-prise trop assumé. Bref, la marque de fabrique d’une princesse un peu trop gâtée… Oui parce que dans les syndromes que je me plais à entretenir, visiblement, il y aurait aussi un léger syndrome hypo-narcissique.

Mais après analyse des forces et faiblesses de ma petite personne, j’en suis arrivée à la conclusion que ce syndrome de la page blanche n’était peut-être pas – uniquement – le résultat de mon incroyable capacité de procrastination. Hélas, quand ça ne veut, ça ne veut pas. Même pour faire bouger le stylo, même pour écrire des inepties. Après tout, ça arrive même aux meilleurs. Joseph Mitchell, écrivain du New Yorker, a été frappé du syndrome de la page blanche en 1964. Il en a pris pour 30 ans. On lui souhaite d’avoir eu d’autres talents ! Alors, j’ai cessé de me flageller et j’ai accepté et me suis même intéressée de plus près à la chose.

Avec un peu d’humour et quelques solutions pratiques, voyons comment démythifier ce mal intemporel qui ne touche pas que les écrivains ; que vous soyez étudiant, créateur de contenu, ou même professionnel devant rédiger un rapport, la page blanche peut frapper à tout moment.

“L’exigence de perfection est un poison qui peut paralyser la créativité”

Syndrome de la page blanche : légende urbaine ou vrai cauchemar ?

Mais au fait, qu’est-ce que c’est exactement, le syndrome de la page blanche ? Et pourquoi certains parlent-ils d’angoisse de la page blanche quand d’autres évoquent un syndrome ? Bah oui, parce que, sémantiquement parlant, angoisse et syndrome sont deux choses différentes.

Selon la définition de l’Académie française, l’angoisse est un « état émotif caractérisé par une inquiétude extrême et une vive appréhension, souvent accompagné de sensations de gorge serrée, d’oppression respiratoire, de malaise épigastrique ». Il s’agit donc d’une émotion, d’une réaction immédiate de stress ou de peur. On appréhende de commencer parce qu’on a peur de mal faire. On se met sur les épaules une pression contre-productive qui paralyse.

Le syndrome de la blanche, lui, me semble être un blocage plus profond. Toujours d’après le dictionnaire de l’Académie française, un syndrome est « un ensemble de symptômes et de signes cliniquement reconnaissables, qui peuvent avoir diverses causes ; spécialement, cet ensemble en tant qu’il permet d’identifier une maladie déterminée, un trouble particulier ou une affection comparable ». Il s’agirait donc d’un état d’immobilité de l’esprit qui se prolonge, un état psychologique ou lié à des conditions externes qui empêche de créer.

La différence peut paraître dérisoire, peut-être ergoté-je, mais il existe selon moi une différence subtile entre « l’angoisse de la page blanche » et « le syndrome de la page blanche ». L’une est passagère, l’autre plus tenace. Et donc ? Et donc, rien. Sauf que c’est pas pareil.

 

Quand l’inspiration pose une RTT sans prévenir

Le syndrome de la page blanche, cette incapacité à produire des idées ou à écrire malgré une volonté évidente, trouve ses racines dans plusieurs causes interdépendantes, propre à la personne qui tient le stylo mais aussi dans des causes externes.

Si vous faites partie de ces chouettes copines que l’on aime retrouver pour décompresser ou simplement se plaindre de sa vie-son œuvre, vous devez sans doute connaître le truc ; fort de votre rationalité et de votre recul sur le Monde digne d’un patriarche alignant les vérités comme un comptoir aligne les pastaga à l’heure de l’apéro, vous savez rassurer, convaincre, booster. Faire relativiser, en somme.

Hélas, les cordonniers étant les plus mal chaussés, lorsqu’il s’agit de vous mettre le moral en tire-bouchon, votre propre cerveau est prompt à trouver mille et une idées tordues que vous considérerez comme autant de lois immuables.

Voici donc les principales causes du syndrome de la page blanche :   

N°1 : le perfectionnisme 

L’exigence de perfection est un poison qui peut paralyser la créativité. Bien sûr, il faut être exigeant envers soi-même et ne pas se contenter de la facilité. Mais lorsque le perfectionnisme se transforme en une quête du Graal, il ne sert à rien, sauf à justifier notre immobilisme. Fait est mieux que parfait. Ceux qui vous diront le contraire ne sont que des théoriciens. Encore faut-il parvenir à s’en convaincre…

“ Là où certains vous encenseront, d’autres se demanderont comment vous avez pu pondre un tel résidu littéraire. ”

N°2 : la peur de l'échec 

Ou comment une petite anxiété inhibe l'élan créatif par crainte de produire un contenu qui serait jugé comme insuffisant, médiocre… Un jugement que vous porteriez sur votre pratique bien sûr, mais que les autres pourraient également porter sur votre travail.

En ce qui concerne l’opinion personnelle que je me fais de ma prose, comment dire… Je crois qu’elle peut se matérialiser par une succession de courbes de Gauss. Ça donne le mal de mer ! Mais je dois avouer que je n’ai pas encore trouver de bonne façon de l’aborder.

En revanche, s’agissant du jugement négatif des autres, bah… as soon as I am concerned, je crois que je me suis faite à l’idée que les autres ne pourraient pas toujours avoir de la considération pour ma prose, à tort ou à raison, d’ailleurs. Là où certains vous encenseront, d’autres se demanderont comment vous avez pu pondre un tel résidu littéraire. Et ceux-là seront les plus nombreux pour la simple et bonne raison que l’on exprime plus facilement un avis négatif qu’un avis positif. C’est comme ça. Le monde est globalement moche et rempli de gens malheureux (ou juste cons). J’ai donc décidé, pour ma part, de n’accorder d’intérêt qu’au juste milieu, à la critique constructive. Et vous savez quoi ? Elle est rare. J’en conviens cette tirade ne règle pas complètement le problème de cette fichue peur de l’échec. Mais elle soulage !

N°3 : le manque d'inspiration 

Avoir l’envie d’écrire sans avoir la matière : voilà une des autres causes de la page blanche. Le manque d’inspiration peut survenir même chez les esprits les plus prolifiques. Ce n’est pas l’envie qui manque, mais les idées semblent s’être volatilisées. Rassurez-vous, l’inspiration n’est jamais vraiment absente : elle est simplement en sommeil. Parfois, la fatigue mentale, une routine monotone ou un environnement peu stimulant freinent l’émergence de nouvelles pensées.

Des contraintes professionnelles ou académiques peuvent également jouer un rôle majeur dans le blocage. Des délais trop serrés ou des exigences trop strictes peuvent freiner l’élan créatif, transformant une activité stimulante en une corvée oppressante. Les jeunes doctorants qui ont mis un point final à leurs recherches pour entamer la rédaction de leur thèse pourront certainement en témoigner.

De même, un manque de clarté dans les consignes ou des attentes floues de la part d’un supérieur ou d’un client peuvent engendrer une paralysie due à l’incertitude. Par ailleurs, l’environnement de travail exerce une influence déterminante : un espace bruyant, désordonné ou inadapté peut limiter la concentration nécessaire pour écrire.

Ceci dit, ne nous voilons pas la face. On a vite tendance à considérer que la paralysie est la conséquence de perturbations extérieures, à commencer par les autres ! Vous serez bien d’accord pour dire que souvent, tout est toujours la faute des autres, non ? Et au premier chef, celle de notre conjoint, de nos enfants, de nos parents ou de notre patron. Je plaisante. Quoique…

Identifier les causes du syndrome de la page blanche permet non seulement de comprendre le phénomène, mais aussi d'adopter des stratégies pour le surmonter.

Démarquez-vous

“le syndrome de la page blanche se manifeste souvent par une anxiété intense : on bloque devant une page vide, incapable de penser à autre chose”

Blocage, déprime et vieux legging

Sur le plan émotionnel, le syndrome de la page blanche se manifeste souvent par une anxiété intense : on bloque devant une page vide, incapable de penser à autre chose, comme si l’inspiration s’était évaporée pour de bon. Et parfois, ça va plus loin : une forme de dépression s’installe, avec son cocktail habituel – sentiment de vide, perte d’énergie, et envie de tout sauf de s’y remettre. Et voilà, on se retrouve en vieux jogging à préparer la soupe de légumes du jeudi soir tout en avalant le paquet de Granola du petit dernier, essayant désespérément de comprendre comment on en est arrivé là.

Côté confiance en soi, ce n’est pas mieux. Le syndrome adore semer le doute : « Et si je n’étais pas aussi bon que je le pensais ? Et si je ne valais pas grand-chose finalement ? » Et pour couronner le tout, il n’est pas rare de se poser des questions existentielles du type : « Pourquoi j’écris, au juste ? » Pour être lu… Mais dans la mesure où je ne produit rien sinon une prose indigeste, eh bien… À quoi  bon ? »

Et le corps, dans tout ça ? Oh ! Il fait aussi parti du voyage, si j’ose dire. Le stress chronique s’invite sans ménagement avec son cortège de manifestations physiques : maux de tête, tensions musculaires, estomac tout chose dès qu’on s’assoit à notre table de travail.

Le tableau est sombre, certes, mais il a au moins un mérite : une fois qu’on a compris les rouages de ce compagnon indésirable, on peut commencer à envisager des moyens de le déloger. Car oui, aussi envahissant qu’il soit, ce mal n’est pas invincible. Il suffit de trouver les armes adaptées – et peut-être de garder quelques Granola sous la main, au cas où. Vous savez quoi ? Oubliez les Granolas ; sauvez ce qui vous reste de dignité et optez pour des rillettes de canard et un verre de Cahors (avec modération !).

Tirez un trait sur la page blanche !

Avoir peur d’une page blanche est un phénomène vieux comme le monde. De tous temps, l’être humain l’a redouté. Dès les premières civilisations, on invoquait les dieux pour conjurer ce blocage : Nisaba chez les Sumériens (3200 av. J.-C.), Seshat en Égypte ancienne, ou encore Calliope, muse grecque des poètes. Même Ganesh, dieu à tête d’éléphant, était prié en Inde avant de tremper la plume dans l’encre[1]. Voilà pour les adeptes du Trivial Poursuit. Tout ça pour dire que, depuis que l’écriture existe, le monde en a vu passer des scribes en PLS ! Alors, certains ont développé quelques techniques. À vous de trouver la vôtre.

Les écrivains célèbres : leurs conseils (mais pas leur talent, faut pas rêver !)

  • Hemingway recommandait à l’écrivain de s’arrêter lorsqu’il avait trouvé son rythme de croisière et qu’il savait où il allait. Pourquoi ? Parce qu’en interrompant votre élan créatif à un moment où vos idées sont claires, vous vous assurez une reprise fluide et évitez l’appréhension de repartir de zéro.

  • Marc Twain proposait, lui, un découpage de l’exercice afin de le réduire à une succession de petites tâches simples et facilement appréhendable. Plutôt que de vous demander « Comment vais-je écrire ce roman ? », concentrez-vous sur des objectifs modestes[2] : une scène de dialogue , une description,  une transition fluide entre deux chapitres.  Simplifier pour progresser, en somme.

  • Haruki Murakami, auteur japonais que j’avoue n’avoir jamais lu, a mis en place une organisation basée sur une discipline de fer. Il travaille pendant 5 à 6 heures chaque matin. L'après-midi, il court 10 km, nage 1 500 m, ou parfois les deux. Puis, il se consacre à la lecture et écoute de la musique avant de se coucher à 21 h 00. Et il répète cette routine chaque jour, sans jamais y déroger.

    Cette méthode permet un équilibre parfait entre discipline et créativité. Oui, c’est vrai. Mais je pense qu’on peut l’améliorer en remplaçant une séance de sport sur deux par une séance de kobido suivie d’un drainage lymphatique arrosé de tisane à la fleur de lotus… Ah pardon ! Vous n’êtes qu’une simple mortelle avec un job prenant et une famille à gérer ? Ah bah, oui, dans ce cas, ça risque de coincer. Pas d’bol ! C’est bien une idée de mec ça. Humour. Quoique…

Faites comme Madame Sway : revenez au papier

Adieu clavier, bonjour crayon : ça pique les doigts, mais ça booste le cerveau. L’usage de l’ordinateur a ceci de vicieux qu’il offre un accès direct au récréatif. Alors, la tentation est grande d’aller faire un petit tour sur Instagram lorsque vous êtes sèche. Oh ! Juste quelques minutes, histoire de trouver l’inspiration ! Et voilà comment entre un réel sur les plus belles plages bretonnes et une recette de cuisine healthy à la crème, vous avez perdu presque deux heures. Deux heures qui n’auront servi à rien si ce n’est transformer votre cerveau en matière gluante, apathique et abêtie. « Et puis, la nuit est tombée, on va pas commencer maintenant. Je reprendrai demain ! » Voyez ; l’auteur de ces lignes maîtrise à merveille l’art de remettre au lendemain.  

Donc, pour en revenir à nos moutons et éviter le problème, essayez de revenir au papier. Une lampe de bureau, une tisane, un bloc et un crayon et c’est parti !

Nous n’avons plus l’habitude d’utiliser un crayon et il faut bien avouer, ça fait mal au poignet, ça fait mal aux épaules, quant au taille crayon, vous ne savez plus très bien comment il fonctionne. Mais coucher des mots sur du papier, prendre soin d’écrire lisiblement canalise l’esprit et favorise la concentration. Avis aux mélomanes : point de musique ; la concentration nécessite un silence absolu. ABSOLU on a dit !

“Avoir peur d’une page blanche est un phénomène vieux comme le monde.”

L’IA, l’ultime recours 

Si malgré tout ce qui précède, vous vous sentez encore perdue, faites appel à ce formidable collègue qui ne vous contredit jamais : Mistral (Cocorico !) ou Chat GPT. Ces outils constitueront une béquille secourable.

J’entends déjà des voix offusquées s’élever et crier à la trahison. Gnagnaaa… S’appuyer sur une intelligence artificielle reviendrait à trahir l’essence même de la création artistique, qui repose sur l’expression intime de l’être humain. Gnagnagniii… Si l’inspiration jaillit d’un modèle entraîné sur des milliards de données, que devient l’unicité de l’écrivain ? N’est-ce pas là un processus qui dilue l’authenticité dans une masse d’idées préexistantes ? Honnêtement, je ne sais pas. Je crois que je suis trop terre à terre pour gloser sur ce thème. Mais très bon sujet pour l’épreuve de philosophie du baccalauréat !

J’opposerais simplement que l’art est, depuis toujours, une forme de réappropriation. Les artistes s’inspirent de ce qu’ils lisent, voient, et vivent. Alors pourquoi une idée proposée par une intelligence artificielle serait-elle fondamentalement différente de celle glanée au détour d’une conversation ou d’un livre ? L’IA n’éteint pas la créativité ; elle la redirige. C’est un outil, pas une fin. (Diantre ! Je reviens, je vais chercher un Doliprane).

Et sinon, faites autre chose !

Enfin, si même l’intelligence artificielle ne vous est d’aucun secours, reste alors cette dernière solution : faites autre chose.

Le cerveau a besoin de faire des pauses ! Chacun son truc : vélo, course à pied, macramé, peinture, cuisine, repassage, week-end à Rome… Aérez-vous l’esprit ! Ca reste souvent la meilleure façon de détruire le syndrome de la page blanche. Une aération neuronale, une nouvelle idée et roule ma poule sur l’autoroute de la création !

Enfin, si malgré tout, vous souffrez plus que de raison de ce blocage, envisagez peut-être de consulter un thérapeute.

• • •

Voilà, vous savez tout. Le syndrome de la page blanche n’est qu’un (mauvais) moment à traverser. Avec un peu d’humour et quelques ajustements, vous (re)trouverez votre voie pour faire danser les mots à nouveau.

Ah ! Une dernière chose ! Le terme grec pour désigner le syndrome de la page blanche est « leucosélidophobie [3] ». Pourquoi le mentionner ? Parce qu’au Scrabble, avec un mon compte triple, ça peut rapporter jusqu’à 158 points (total des points : 36, avec un mot compte triple : 108 points auxquels on ajoutera le bonus de 50 points pour avoir posé toutes nos lettres). Sauf qu’il dépasse 15 lettres et de ce fait, n’est pas admissible ; passez votre chemin.

Eh ! Vous avez oublié quelque chose ! (Les Bronzés font du ski - 1979)

[1] https://theconversation.com/le-syndrome-de-la-page-blanche-vieux-comme-le-monde-19546

[2] https://theconversation.com/comment-le-cerveau-genere-t-il-des-idees-creatives-207899

[3] https://sosgrammatical.ch/2021/09/23/leucoselidophobie-leucoselophobie-ou-le-syndrome-de-la-page-blanche/

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