Esthétisme procédural

L’autre soir, alors que je regardais un tuto Youtube du plus grand intérêt sur la manière de réparer une machine à laver (oui, bah…), j’ai eu droit à une coupure pub’ - dont je n’oserais penser qu’elle était ciblée - vantant les mérites d’un sérum correcteur hydratant, lissant, repulpant, rebondissant, défatiguant, illuminant, sublimant, restructurant, photoshoppant, vidage-du-compte-en-banquant, poudre-aux-zyeutant, je-te-prends-pour-un-pigeonnant… 

Un produit de beauté tellement parfait qu’il aurait presque pu vous faire gagner (ou perdre ?) quinze ans en deux applications. Si, ça, ce n’est pas prendre la consommatrice moyenne pour une vieille dinde…

Je m’emballe, je m’emballe mais, laissez-moi vous expliquer les raisons de mon mécontentement.

Revenons-en à la publicité pour ce sérum correcteur. Je ne m’attarderai pas sur le terme « correcteur » qui admet sans subtilité que les années passant, notre minois se mue progressivement en implacable erreur de la nature (Mince alors ! Moi qui pensais naïvement que la vieillesse était un processus naturel…). 

Mais il y a mieux. Ou pire. Enfin, je ne sais ; chacun voit midi à sa porte après tout. Ce sérum serait tellement efficace qu’une proportion non négligeable de femmes seraient convaincues de reporter leur « procédure esthétique »

C’est là que mon tympan a vrillé ; sur  cette « procédure esthétique ». « Procédure esthétique » ? C’est-à-dire ?

Bon, alors, n’étant pas complètement née de la dernière pluie et le message publicitaire s’accompagnant d’une séquence visuelle relativement explicite, je comprends que cette nouveauté esthétique (sans doute dépassée dans six mois ) donnerait des résultats de nature à précipiter dans une profonde dépression toute cinquantenaire qui se serait délestée de son PEA un mois auparavant pour s’offrir de nouvelles petites joues rebondies artificiellement. Que voulez-vous ! Après tout, c’est le jeu du marketing…

Mais cette expression « procédure esthétique », qu’elle est laide et presque infâmante ! Certes, il existe tant de techniques différentes de ravalements de façade que l’on peut s’y perdre : routines beauté, peelings, injections, cryothérapie, comblement, dermabrasion et autres interventions de médecine esthétique, sans compter le stade ultime du bistouri.

Et au lieu de dire « Mesdames arrêtez, vous êtes belles comme vous êtes. Prenez-soin de vous, riez, aimez, vivez et puis bon, achetez notre petit produit, ça ne pourra pas vous faire de mal », une équipe de spécialistes du marquétinge a préféré remettre la gente féminine au pas avec une « procédure ».

C’est bien, ça, une « procédure ». Ça sonne raisonnable, carré-carré, obligation, troupeau de moutons et instinct grégaire. Faut du sérieux, du réglementaire, de la norme dès potron-minet !

Une procédure… Pensez-donc !

Procédure comme obligation de mettre à jour les conditions générales d’utilisation.

Procédure comme si tu ne le fais pas, gare à l’huissier (pardon au commissaireuuu de justiceuuu…) !

Procédure comme le formulaire bleu nécessaire à l’obtention du laisser-passer A38.

Procédure comme le code de procédure fiscale ! (Croyez-moi, même le code du travail est plus fun…)

Une procédure… Las ! Les mots ont un sens et au-delà, une connotation, un poids, des sous-jacents. Parler de « procédure esthétique », c’est faire gober (on n’osera pas dire “croire”) à Madame qu’il n’y a point de beauté sans formalisme, sans processus précis et par là même, sans efforts. C’est insuffler dans son esprit que si elle ne s’y plie pas, elle sera inadaptée et en marge (et vieille, et moche, ce qui - vous en conviendrez - fait beaucoup pour une seule femme).

Et c’est justement ça qui m’irrite ce matin ; j’ai terminé mon sérum repulpant et j’ai oublié d’en racheter ! Monde cruel.

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