Investissement machiavélique
Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas parlé des aventures de Mini CEO. Il faut avouer que de prime abord, sa vie s’écoule avec la même douceur qu’un pull en cashmere dans une publicité pour un adoucissant. Mais quand même, parfois, je ne sais que penser de ses actions… et de ses réactions, d’ailleurs.
Voyez plutôt.
L’autre matin, mercredi - pour ne rien vous cacher de notre folle vie trépidante - nous avions décidé d’aller faire le plein de fruits et de légumes. Issus de l’agriculture biologique, cela s’entend, comme toute bonne famille boboïsante de la rive Est du lac d’Annecy. Nous voilà donc rendus dans un magasin qui donne, avec toute la délicatesse et l’authenticité que l’on trouve dans ces zones commerciales si banalement désincarnées, dans le jardinage, les arbres à chat et les fruits et légumes.
En chemin, Mini CEO me dit qu’il a pris ses sous pour s’acheter une bricole. Après tout, mieux vaut l’initier assez tôt à la valeur de l’oseille – et je parle bien de l’argent, pas de l’herbe aromatique, même si on démarre justement notre virée par le rayon fruits et légumes. Je lui donne donc mon accord « mais pas une énième cochonnerie qui finira tout cassée dans ton coffre à jouets ».
— Oui, oui ! soupire-t-il, les yeux au ciel.
Hum… À bien y réfléchir, je sais ce qu’il a en tête, ce petit petzouille ! Le rayon des biscuits en vrac lui fait de l’œil à chaque visite. Mais à chaque fois (ou presque), sa mère lui fait un sermon assommant sur « les gâteaux, autant les faire soi-même, c’est meilleur, c’est moins cher et ça fait moins de déchets ». Pour sûr, elle est gentille cette maman ! Mais quand même, elle devient un peu rabat-joie avec l’âge.
Nous choisissons, ensachons et pesons nos endives, nos poireaux, notre chou rouge et nos pommes, puis je le vois détaler, non pas au rayon douceurs en vrac mais, au rayon des plantes.
Intriguée, je le rejoins avec mon caddy en plastique qui fait un potin d’enfer sur le sol ; grinc-grinc-grinc-grinc-grinc-grinc… grinc.
Il est là, il tourne, observe, réfléchit.
— Ça va, ma Chipouille ? Tu cherches quoi ?
— Je veux m’acheter une plante.
Ah ! Bonne idée. Après tout, c’est une belle responsabilité. L’âme de Le Nôtre habiterait-elle cet enfant ? Quelle maturité incroyable !
— Tu sais ce que tu veux ? Sinon, regarde, il y a plein de petits cactus rigolos…
Mais il ne m’écoute déjà plus. Mini CEO qui se cacherait dans un trou de souris s’il le pouvait dès qu’il doit demander quelque chose à une tierce personne, prend soudain son indépendance et ose aller demander conseil à un vendeur. Je le regarde, mi-fière, mi-intriguée.
Quelques instants plus tard, il revient triomphant, un petit pot entre ses mains.
— Maman, j’ai trouvé ! Et en plus, ça coûte moins cher que ce que j’ai. (Diantre ! Le Nôtre et Colbert dans un même corps !)
Et là, dans ses mains, une petite plante carnivore. Une dionaea muscipula pour être exacte.
Il l’observe avec admiration. Je souris. Pourquoi pas ?
— Il va falloir en prendre soin parce qu’elle est encore toute petite.
— Oh oui, c’est un bébé mais je vais en prendre soin ! acquiesce-t-il d’un air mystérieux.
Je le regarde, attendrie.
— Cet été, elle gobera les moucherons qui passeront à sa portée, lui expliqué-je.
Il me regarde alors, l’œil brillant, et ajoute, sur un ton beaucoup trop calme pour être innocent :
— Je vais bien m’en occuper, t’inquiète. Et quand elle sera énorme, j’inviterai ceux qui sont méchants avec moi… et elle les bouffera.
— …
Bon. Bah… Le Nôtre, Colbert et Machiavel.